Plantes et pouvoirs magiques en Euskadi

LES LÉGENDES BASQUES DANS LA TRADITION HUMAINE

Par Gil G. Reicher  - Édition de 1946

Extraits

"Valeur médicinale et magique des plantes"

"Aussi faudrait-il un volume entier pour raconter tout ce que la Légende basque prête de puissance surnaturelle aux plantes d'Euskarie.

Le premier point à noter est l'extrême connaissance que le Basque possède de la végétation qui l'entoure ; depuis des millénaires, la race a observé, retenu.

En Euskarie, comme partout, le cornouiller sanguin est des plus magiques ; on l'appelle arbre du diable, l'arbre trompeur, car il est le premier à donner des fleurs et le dernier à donner des fruits. Il passe pour vivre des siècles. Cette réputation du cornouiller est bien ancienne. A Rome, durant le trajet du supplice, on en flagellait les condamnés pour qu'ils vivent leurs dernières heures dans une espèce d'hébétude.

Les branches d'arbres dont se servent les sorcières pour aller au Sabbat sont des rameaux de cornouiller et nous avons vu cette plante entrer dans la composition de l'onguent dont les damnés s'enduisaient. En Labourd, terre des sorcières, on appelle le cornouiller aphotzurra d'aphora : crapaud ; sa feuille rouge à taches brunes faisant d'ailleurs penser à la peau de cet animal.

La légende basque s'enfonce encore plus avant dans le mystère. Elle prête au cornouiller un pouvoir plus étrange : il suffit de manger neuf cornes vertes pour changer de sexe. Or, la sorcellerie basque faisait grand cas de ces interventions, surtout lorsque les sorginak pouvaient devenir bêtes mâles. Cette légende est si ancrée en Euskarie, qu'il y a une quarantaine d'années, une vieille femme, dont je tairai le village, passait pour avoir le pouvoir de changer les filles en leur faisant manger certains fruits. (...) En Pays Basque, l'on croit que le cornouiller donne la rage aux chiens. Cependant, toutes les utilisations du cornouiller en Pays Basque ne sont pas si diaboliques., et sous le nom d'Aingeruostua, feuille des anges, elle sert à faire des cataplasmes contre les varices et les ulcères.

Il n'est pas seul non plus à servir aux incantations, et voici une des plus curieuses utilisations magiques de plantes citée par le marquis d'Abartiague.

Un jour, rentrant dans son domaine, il fut surpris par l'orage. Il frappe à la porte d'une métairie où il avait toujours été reçu avec affection. Il entre et s'étonne de l'air embarrassé des gens qui, après un instant d'hésitation, se rassemblent près de la cheminée. le feu flambe ; un homme prend des tomates vertes et les jette dans la flamme en psalmodiant à demi-voix une incantation.

M. d'Abartiague, intrigué, le prie de répéter tout haut. L'homme, malgré l'amitié qu'il portait au marquis et l'antique race euskarienne de celui-ci nie obstinément. Rite étrange, comme le hasard en fait découvrir quelques uns et qui témoignent à la fois du passé fabuleux des Basques et de leur connaissance des lois de la Nature.

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Le gouet (pied de veau, herbe aux serpents) et l'orpin (herbe de Saint-Jean) tiennent aussi une place importante dans la légende basque.

L'orpin a d'ailleurs même valeur dans beaucoup de pays. En Pays Basque, il faut le cueillir le matin de Saint-Jean avant le lever du soleil : à minuit, si on né un dimanche. A cette époque, l'orpin commence à ouvrir ses petites fleurs roses, mais la feuille charnue est déjà mûre et peut se peler. Cet orpin aisni ramassé sert à divers usages magiques. Placé à côté du bénitier il éloigne efficacement les sorciers. Suspendu à la maîtresse poutre de la salle, s'il fleurit encore à l'Assomption, deux mois après sa cueillette, la prospérité règnera dans la demeure. L'orpin a la propriété de pousser encore longtemps après avoir été coupé.  Mis dans les étables, il protègera les bêtes, en Bretagne, comme en Euskarie.

Le gouet, arum sauvage s'appelle en Pays basque sugo-belharra, herbe aux serpents. La légende de beaucoup de contrées veut que qu'un serpent se cache toujours dans les haies où pousse le gouet.

On défend en Pays basque, aux enfants de toucher cette plante dont l'essence est assez étrange : ses rhizomes crus sont vénéneux, cuits, ils deviennent comestibles.

Une légende basque intéressante raconte ceci : la tige du gouet au printemps ressemble à un épi d'abord blanc, puis jaune, puis rouge. Si on l'ouvre, on y trouve des grains superposés ; ceux du dessus ressemblent à des grains de blé ; ceux du milieu à des raisins ; ceux d'en bas à des grains de maïs. Suivant que les plus beaux sont ceux d'en haut, du milieu, ou d'en bas, la récolte de l'année sera meilleure en blé, en raisin ou en maïs.

Tout, disent les anciens dictons basques, est inscrit dans la nature.

D'autres propriétés du gouet, moins magiques, sont curieuses. En Navarre, comme en Labourd, les feuilles servent de vésicatoires et s'emploient aussi contre les verrues.

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Le plantain fait aussi partie de ce bouquet mystérieux. On le nomme bordsanka les cinq veines, appellation qui lui vient des cinq lignes renflées qui décorent sa feuille. Voici comment la Légende explique cet aspect.

Un jour, la Sainte-Vierge voulut offrir aux hommes une plante qui guérisse tous les maux : elle choisit le plantain. Mais le Diable guettait par là ; la Sainte Vierge partie, il piqua la racine de la plante avec un suc empoisonné.

Quand Notre-Dame revint pour voir sa plante, elle s'aperçut que celle-ci dépérissait. Elle comprit tout.

Elle appelle le Diable :

- "Mauvais, qui croit me tromper, tu ne réussiras jamais à me nuire et tu ne profiteras pas de ta méchante action".

Elle mit alors sur la feuille cinq veines dans lesquelles elle fit courir la vie. Depuis ce temps, le plantain n'a presque pas de racines, mais cinq côtes sur ses feuilles. 

Il donne la force aux anémiques, il repose les pieds malades, mais surtout il guérit le mal d'yeux.

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Voici une herbe au pouvoir également curatif : l'herbe d'araignée, espèce de grand euphorbe qui couvre des taillis entiers et spécialement les flancs de la montagne Harrimendi.

Quand les vaches sont malades du charbon, on leur en suspend un collier au cou, mais nous dit un paysan, de la vallée de Lauribar, il faut que la plante ait toute sa racine, sinon elle perd tout pouvoir.

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 Le bouton d'or, apiaza, possède un effet contraire et dangereux. Plante à sortilège comme le lycopode ou le lotus, il fait perdre dit-on en Soule, la vue et même la raison, à celui qui mange au printemps ses feuilles vertes.

 Pour compenser ce mal, les prés offrent aux hommes la petite orchidée-papillon qui s'ils la mangent couverte de rosée, leur donne une force magique.

L'aubépine : elhorrechurria porte en elle une étrange puissance : elle n'est jamais frappée par la foudre. De plus elle détourne les maléfices et porte bonheur ; il faut cueillir le premier rameau fleuri d'aubépine que l'on voit , et le suspendre au-dessus du seuil de la demeure. C'est ainsi que dans toute la Navarre, vous voyez ces branches aux maisons, dans les étables, à des pieux dans les champs.

Enfin, lorsque Notre-Dame descend sur terre, elle apparaît toujours dans un buisson d'aubépine, et l'un des pèlerinages les plus fameux d'Euskarie est Notre-Dame de l'Aubépine au-dessus d'Ainhoa.

Une autre bien jolie légende est celle de la badiane, cette large feuille qui pousse même dans les pierres. Lorsqu'un fiancé va voir sa promise, il lui en donne une branche ; si cette branche reste fraîche longtemps, c'est que la fiancée est fidèle et la plante s'appelle l'herbe d'amour : amodio-belharra.

Nous pourrions multiplier les légendes des plantes ; il faut mettre un terme à ces récits qui nous montrent dans quelle intimité vit le Basque avec la flore de son pays".