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LA MALÉDICTION DE L'AKELARRE
31 août 2017

CICERA, ma première nouvelle fantastique

Bonjour à tous, 

J'ai hésité à poster cette nouvelle. Et pour cause, elle n'a aucun lien avec les sorcières basques... et pourtant, cette histoire a inspiré le style de mon prochain roman, son ton, son atmosphère. 

Alors, si vous êtes curieux et avez envie de plonger dans cet univers, lisez donc cette histoire. 

 

CICERA

 

Il est près de seize heures lorsque Fred et moi arrivons à Somo, petite station balnéaire espagnole située dans la province de Cantabrie. Après avoir parcouru plus de mille kilomètres sous une chaleur tapante, je ne rêve à cet instant que de fraîcheur et de dépaysement.

Des vacances, des vraies, pour déconnecter, enfin. 


Fred trouve une place après avoir tourné plus d'une demi-heure. Je sors de la voiture, les jambes engourdies, encore ensuquée par le trajet et observe le paysage. 
Les plages sont surpeuplées, les gens entassés les uns sur les autres. Il y a des dizaines de bars, des restaurants en enfilade, des supérettes, des boutiques de souvenirs, des distributeurs de billets à chaque coin de rue, des hôtels et des blocs résidentiels grisâtres le long du littoral. Tout est parfaitement calculé pour que le touriste reste sur place et n’étende pas sa curiosité dans les villes voisines. Cette impression d’être un porte monnaie ambulant m’oppresse déjà.

En moins d'une heure, nous faisons le tour de la station. Pas question de rester dans ce piège à touristes. Un ami nous a parlé d'une auberge dans les montagnes à une heure de Somo. 
Je convaincs Fred de poursuivre notre route.

Je ne connais pas de meilleur endroit pour s'évader qu’en étant passager dans une voiture roulant à vive allure, les paysages défilent à toute vitesse et l’imagination n’a qu’à faire le reste. 

Ces derniers temps, je me surprends souvent à rêver de changer de vie, quitter mon quinze mètres carrés miteux et ce job que je déteste plus que tout. Pourquoi ne pas recommencer à zéro ? Le désir d'une vie calme m’attire de plus en plus, mais Fred, lui, est un pur citadin. Il aime l'effervescence parisienne, le bruit, l'agitation et la fête.

Nous roulons depuis près d'une heure avec pour seul plan une carte mal faite et une photo de l’auberge qui semble, à première vue, parfaitement correspondre à mes envies de quiétude. 

Nous traversons les villages indiqués sur la carte et longeons un cours d’eau bordé d’une végétation luxuriante. Au fur et à mesure que nous avançons, de gigantesques montagnes se dressent face à nous. On s'enfonce dans ce décor, jusqu’à être complètement encaissés, happés par cette immensité.

Nous contemplons le spectacle, en silence. 


Puis, d’après notre plan de fortune, nous suivons un panneau qui indique d’emprunter les chemins de montagnes vers Cicera. Nous quittons alors la route et le bitume sitôt remplacés par des sentiers étroits et caillouteux. Les pentes sont rudes, les virages dangereux. Fred reste très concentré. Nos oreilles se bouchent, les maisons du bourg en bas semblent à présent minuscules, la vue du vide sournoise et dangereusement attirante. 
Je commence alors à me sentir mal à l’aise sans parvenir à expliquer pourquoi. Je focalise mon attention sur la beauté du site tout en essayant d’occulter ce mal-être qui grandit en moi. 
J’ai un mauvais pressentiment.

Après plus de vingt minutes de montée, nous arrivons dans un petit village qui parait totalement hors du temps. L’architecture des habitations date de quatre ou cinq cents ans. Difficile à estimer. Le village semble totalement à l'abandon. Disposées en cercle, les maisons n'ont manifestement jamais été rénovées. Les matériaux essentiellement constitués de bois sont restés à l'état brut, détériorés par le temps et rongés par les insectes. Au centre, on trouve plusieurs petits tas de pierres posés là, sur la terre sèche couleur cuivre - probablement vestiges d'anciens feux. Il n'y a pas âme qui vive, seuls quelques chiens bâtards au regard inquiétant errent en meute. Ils sont affamés et voient en nous l'opportunité d'un bon repas. Fred et moi remontons immédiatement en voiture. 

Ce village fantôme n'est pas Cicera et j'en suis soulagée.

*****

Nous arrivons enfin à destination. Je me sens tellement poisseuse que la seule chose vitale à l’instant est de prendre une douche. 
Jorge, notre hôte, se montre très chaleureux. Il nous accueille avec un grand sourire et nous prie de le suivre à l'étage dans l’une des quatre chambres de l'auberge. Fred pose ses affaires en vrac et ne tarde pas à rejoindre Jorge au rez-de-chaussée, impatient de faire la connaissance de ce drôle de personnage qui vit reclus ici, avec pour seule compagnie un vieux chien hirsute aux longs poils emmêlés, façon dreadlocks. Je reconnais bien Fred et sa facilité à créer des liens, ce côté si sociable que je lui envie.
Seule dans la pièce, je m’assieds sur le lit pour m'imprégner des lieux en m'attardant sur la décoration. Les murs en pierre de taille sont ornés de cadres représentant de vieilles femmes en costumes d'époque, au regard sombre et à l'allure austère. C'est étrange, je suis immédiatement captivée par ces tableaux. Il m'est même difficile de détourner le regard. Quelque chose de malsain se dégage de ces sinistres portraits, comme si ces femmes étaient présentes dans la pièce et comme si leur esprit hantait les lieux. Ont-elles vraiment existé, ont-elles vécu ici, à Cicera ? Cet endroit est chargé de l'énergie qui se dégage de ces tableaux. Soudain, je me mets à ressentir un poids sur la poitrine - prémices de l'angoisse - puis des difficultés à respirer. Tout autour de moi devient lourd et pesant, je me sens emmurée dans un halo surnaturel. La chambre se transforme, je ne distingue plus le mobilier et tout devient flou. Les vieilles femmes des tableaux me semblent tout-à-coup bien réelles.

Le malaise ressenti plus tôt dans le village fantôme resurgit de plus belle. Je n’entends plus Jorge ni Fred. J'ai la sensation d'être seule au monde. J’essaie de hurler mais aucun son ne sort de ma bouche. Je me précipite à la fenêtre pour respirer et aperçois Fred et Jorge. Cette vision me rassure et met fin à mon angoisse. 

Je descends les rejoindre.

Je propose une promenade dans le village pour me changer les idées et mettre un peu de distance avec cette crise d'angoisse. Malgré tout, je la sens encore tapie au fond de moi, prête à resurgir à tout instant. 

Sur le chemin, nous croisons quelques habitants. Je remarque que les gens, jeunes ou vieux, hommes ou femmes ont tous ce même regard absent. Ils nous fixent longuement sans dire un mot et certains d’entre eux se retournent sur notre passage. Nous ne sommes pas les bienvenus, c’est on ne peut plus évident, mais je suis visiblement la seule à m'en apercevoir.
Nous nous asseyons au bord d’un ruisseau, j'essaie de ne plus penser à tout cela, mais le malaise refait surface. J’en fais part à Fred qui commence à regretter de m'avoir emmenée en vacances avec lui.
Quelque chose ne tourne pas rond au milieu de ce décor d'un autre siècle. Je le ressens profondément, c'est comme si j'étais sur deux plans à la fois. Quelque chose de grave, de très ancien s'est passé ici. La présence de Fred ne me rassure pas. Pire, le trouble s’intensifie car je sens un décalage entre lui et moi. Des images d'une époque ancienne surgissent dans ma tête, je vois des gens hurler dans les rues, des chevaux agités, des femmes et des enfants terrifiés ! Je ressens leur peur comme si elle était mienne. C'est le chaos ! Partout, je vois des scènes d'horreur, des corps déchiquetés, du sang ! Des images d'une violence inouïe se bousculent dans mon esprit, ça va trop vite, je ne contrôle plus rien ! Terrifiée par ces visions, je quitte Fred sur le champ, prétextant la fatigue. Je ne sais pas où me réfugier. Je prends le chemin de l’auberge, courant presque pour la rejoindre. Arrivée dans la chambre, mon regard croise le miroir... mon dieu, mes yeux ! et mon visage ! je ne me reconnais plus ! ma bouche... mes cheveux ! ce n'est pas moi ! 
Horrifiée, je trébuche et m'effondre sur le lit.

Ma première vision en reprenant connaissance est celle des portraits. Leur regard satisfait en dit long, elles se délectent de mon état. 

J’entends soudain Fred revenir de sa balade et raconter à Jorge combien il trouve l’endroit charmant. Il ne se rend compte de rien ! Et moi, je suis prisonnière dans cette chambre, prisonnière de cette folie. Fred entre dans la pièce et me voit ainsi, étendue sur le lit, livide et tremblante, cachant mon visage entre mes mains. Il s'approche de moi, très inquiet. J'invente une excuse. Il m'est impossible de me confier à lui et je ne veux surtout pas qu'il me regarde.

*****

Jorge vient de nous appeler pour dîner. Il faut que je me lève. Fred se prépare dans la salle de bains. Je n'ose pas me regarder dans le miroir, puis finis par trouver le courage. 
Tout semble redevenu normal. 
À table, j'enchaîne les verres de vin priant pour que l’ivresse me fasse oublier cette horrible journée. Nous passons la soirée à échanger sur nos vies respectives. Jorge nous raconte comment il a repris cette affaire il y a quatre ans, de quelle façon il a quitté sa vie à Madrid, l'époque durant laquelle il occupait un poste important dans une grande société. La soirée est très agréable. Je finis par en oublier mes visions, probablement dû à l'effet de l'Homenaje. 
Jorge nous quitte pour aller se coucher, suivi de près par son chien. Pour nous aussi, il est temps d'aller dormir. Fred, exténué par la route, tombe comme une masse. Quant à moi, je n'ai pas dû boire assez car je ne parviens pas à trouver le sommeil. Il est presque quatre heures du matin. Dehors, tout est silencieux, le village entier s'est endormi.

Soudain, un bruit sourd et insistant attire mon attention. Il semble provenir de la vieille armoire de la chambre. J’allume la lumière et me lève doucement pour ne pas réveiller Fred. J'ouvre la porte et n'y trouve que du linge de maison, rien d’autre. Puis ce même bruit retentit dans le couloir. Je décide de sortir pour voir. Cela vient d'en bas. J'emprunte les escaliers qui mènent à la terrasse où nous étions installés quelques heures plus tôt. Je descends, toujours rien. Le bruit semble provenir de l'autre côté de la ruelle. J'avance prudemment et regarde nerveusement autour de moi. Je ne suis pas tranquille. Bon sang, mais qu'est-ce qui me pousse à être ici, seule, au beau milieu de ce village, en pleine nuit ? 

Je réalise la stupidité de la situation et rebrousse chemin pour retourner près de Fred.
Un vent glacial commence à se lever, il parcourt mon dos, remonte le long de ma colonne vertébrale jusqu’à ma nuque. Frigorifiée, je presse le pas vers l'auberge, puis me retourne pour m'assurer que je ne suis pas suivie, lorsque je crois apercevoir des ombres au loin… qu'est-ce que c'est ?! je n’y vois rien ! 
Elles sont de plus en plus nombreuses, elles s’approchent de moi et m'encerclent.
— Qui êtes-vous ?!
Le piège se referme. Je les supplie de me laisser tranquille ! J’entends le vrombissement d’un moteur, ce bruit insupportable résonne dans ma tête et me martèle le crâne. Je cherche une issue mais je suis bloquée ! J'aperçois la fenêtre de notre chambre, je voudrais crier mais c'est trop tard, je suis à terre, à leur merci. J'essaie de me débattre, mais c'est inutile. Je vois leurs visages déformés, leurs yeux injectés de sang, leur sourire diabolique vissé aux lèvres. Je reconnais immédiatement les vieilles femmes des tableaux. Elles arrachent mes cheveux, me griffent et me mordent jusqu'au sang ! Une odeur infâme se dégage d'elles, l’odeur de la mort... Elles me traînent à travers les ruelles sombres du village. Je ne sais pas où elles m'emmènent.

C'en est fini pour moi. Je ne suis plus qu'un corps inerte.
Tout-à-coup, je reconnais un parfum, puis une voix familière qui m'appelle. Je sens une main bienveillante se poser sur mon épaule... quelqu'un tente de m'arracher à ces immondes créatures.
— Fred ?!
— Allez debout ! réveille-toi ! je pense que tu vas te plaire ici...
— ... Où est-ce qu'on est ?
— À Cicera.

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