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LA MALÉDICTION DE L'AKELARRE
23 février 2015

Sorcellerie

 

 

 

SORCELLERIE ? CE QUE CACHE

LA FUMÉE DES BÛCHERS DE 1609

 

Par Claude Labat

 

 

Dans son ouvrage, Claude Labat nous brosse le portrait d'une figure incontournable dans l'histoire des procès en sorcellerie : Pierre de Lancre, un juge mandaté par le Roi Henri IV pour enquêter en Pays basque.

Son livre, Tableau de l'Inconstance des Mauvais Anges et Démons, reste une référence en matière de sorcellerie au début du XVIIème.

 

 

 

 (Extraits)

 

 

Pierre de Rostéguy sieur de Lancre

"Au début du 16e siècle, une importante colonie de Basques est implantée autour du port de Saint-Macaire, sur les bords de la Garonne ; certains travaillent comme constructeurs d’embarcations fluviales, d’autres sont négociants en vins. Parmi ces derniers, se trouve Bernard de Rostéguy (Aroztegui), originaire de Juxue. Propriétaire de nombreuses terres, ce riche bourgeois finira contrôleur des deniers du royaume. Son fils aîné, lui aussi prénommé Bernard, continue d’accroître la fortune familiale en achetant la maison noble de Tastes puis le château de Malromé à Verdelais.

"Ascension exemplaire d’une famille basque émigrée qui, en quatre générations passe du négoce - et peut-être de l’artisanat - aux offices royaux, à une simili-noblesse et à la haute magistrature. Dans la suite, les descendants des Rostéguy accédèrent à la noblesse d’épée par leurs fonctions et leurs alliances et à la veille de la Révolution, un d’entre eux figure dans la noblesse en Guyenne, un autre est chevalier de Saint-Louis et lieutenant du roi à Rochefort." Eugène Goyheneche.

Pierre est élevé chez les Jésuites avant de partir suivre ses études universitaires à l'étranger, comme cela est fréquent à l’époque. Durant quatre ans, il étudie le droit en Italie. Sa connaissance de l’italien lui vaut de revenir un temps à Bordeaux pour accompagner Pierre de Médicis. En 1579, il est reçu docteur en droit à Turin puis il retourne en France en visitant l’Italie, Prague, la Provence et le Languedoc. Déjà à cette époque, il manifeste de l’intérêt pour les mystères, les sectes et la sorcellerie. Quand Pierre de Lancre se fixe à Bordeaux, il s’inscrit comme avocat au Parlement et devient conseiller à la seconde chambre des enquêtes. En 1588, il épouse Jehanne de Mons, fille du président de la première chambre des enquêtes et petite-nièce de Montaigne. En 1609, le roi Henri IV lui donne pleins pouvoirs pour mener une enquête sur la sorcellerie dans la province basque du Labourd. Cette décision royale est très mal acceptée par ses pairs du Parlement de Bordeaux qui mettent beaucoup de mauvaise volonté à l'entériner. Cependant, fanatique et imbu de sa personne, de Lancre accomplit sa mission avec un zèle redoutable avant d’être chassé du Labourd au bout de 4 mois. Par la suite, on le retrouve dans d'autres procès de sorcellerie à Bordeaux et à Amou. Il se présente volontiers comme démonologue et rédige de nombreux ouvrages dans lesquels les références à la Bible et aux auteurs antiques cachent mal une personnalité complexe. En 1616, il quitte sa fonction de conseiller au Parlement de Bordeaux pour celle de conseiller du Roi en son Conseil d’Etat. Pierre de Lancre meurt en 1631, sans enfant, sinon un fils "naturel" qui deviendra Jésuite ! Il est enterré à l’église de Sainte-Croix-du-Mont. Jusqu’en 1882 on pouvait voir sur sa sépulture une épitaphe rédigée dans une langue inconnue. Beaucoup pensent qu’il s’agit du basque mais cela est peu probable car Pierre de Lancre ignorait la langue de ses ancêtres.

Dès 1607, Pierre de Lancre publie plusieurs ouvrages sur la sorcellerie et le combat qu’il mène contre elle. Ces livres portent des titres longs et prétentieux, à l’exemple de celui qu’il rédige après son séjour en Pays Basque : Tableau de l’inconstance des mauvais anges et des démons, où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie, livre très utile et nécessaire, non seulement aux juges mais à tous ceux qui vivent sous les lois chrétiennes (Première édition : 1612 ; seconde édition : 1613).

Le déroulement de la mission

En quatre mois, du 2 juillet au 10 novembre 1609, le tribunal de Pierre de Lancre siège successivement à Bayonne, Ustaritz, Saint-Pée, Ascain, Saint-Jean-de-Luz, Sare et Cambo. Un vent de panique souffle sur le Labourd. Partout, l’annonce de l’arrivée du conseiller provoque la fuite des habitants vers la Navarre. Les procès se déroulent suivant une formule mise au point jadis par l’Inquisition lors des procès pour les hérétiques : interrogatoire, recherche de la marque (du diable), torture, sentence. Pour les juristes de l’époque la sorcellerie est le "crime le plus abominable de tous et qui se commet ordinairement de nuit, et toujours en secret". Considérant qu'il s'agit d'une transgression aux règles ordinaires du droit, les juges estiment qu’ils peuvent dépasser les règles juridiques ordinaires : tous les témoignages sont recevables et toutes les tortures sont justifiées. De Lancre n'hésite ni à interroger les enfants ni à condamner "en bloc" des familles entières. Pierre de Lancre méconnaît la langue basque, mais cela ne l’empêche pas d’utiliser les croyances populaires et les traditions locales pour alimenter ces accusations d'une façon très personnelle en mélangeant visions imaginaires et fantasmes sexuels. Certes le tribunal s’appuie sur des arguments théologiques, mais il s’agit surtout de procès idéologiques. Car sa mission est avant tout politique.

Une chose frappe tout d'abord, beaucoup de sorciers sont des sorcières. Les raisons de cette disproportion sont multiples. Sans doute, à cette époque, cela est-il dû d'abord à la façon négative de considérer les femmes (certains auteurs n'hésitent pas à penser que les femmes sont prédisposées à la sorcellerie) mais beaucoup pensent que ce sont les conditions de vie misérables qui poussent les femmes à devenir sorcières. Il y a enfin une autre raison: beaucoup de femmes accusées de sorcellerie deviennent accusatrices à leur tour et désignent alors essentiellement d'autres femmes.

Les femmes sont généralement des personnes seules : des veuves, des filles très jeunes, des femmes de marins. De Lancre donne les noms quelques-unes de ces femmes accusées de sorcellerie et exécutées : Destail, d’Urrugne, reine du Sabbat, très belle, elle refusa le baiser du bourreau ; Marie Bonne, de Saint-Jean-de-Luz, dont l’exécution provoqua une émeute ; Saubadine de Subiette, d’Ustarritz morte en prison à 80 ans ; Marie d’Indarte, de Sare, qui accusa à son tour d’autres femmes ; Necato, d'Hendaye, "la plus effroyable des sorcières" ; Gracy d’Oihangaray ; Marie Pipy d’Olhagaray, de Macaye ; Catherine de Barrendeguy dite Catalin Bardos, de Halsou, Catherine de Molères. Et un sorcier joueur de tambourin : Ansogarlo, de Hendaye. La ville de Bayonne n’est pas épargnée, plusieurs "grandes dames" furent incriminées dont les femmes des magistrats municipaux.

Quant à l'origine sociale des sorciers et sorcières, on peut dire qu'on retrouve chez les accusés tous les milieux existants à l'époque : bourgeois, clercs, paysans, pauvres, exclus… François Borde signale que d'après les documents d'époque "les victimes accusateurs sont en général plus pauvres que les accusés, ce qui prouve que la plupart de ces affaires étaient l'expression de conflits sociaux"

Enfin, il est un moment singulier de la vie des femmes qui éclaire la sorcellerie et notamment l'institution du sabbat, c'est la veillée. On sait que dans la société traditionnelle les femmes, souvent entre voisines, se retrouvent à la tombée de la nuit, parfois même dès l'après midi, pour effectuer des travaux domestiques tel que le cardage de la laine ou peignage du lin. Bien que généralement ces rassemblements soient composés de femmes, on peut y trouver des hommes et des enfants.

Cette société "civile" se double d'une société "religieuse" dans laquelle le diable s'efface devant l'évêque, les curés et leurs vicaires, les diacres et les sous-diacres… Le Diable étant "le singe de Dieu" selon l'expression de Pierre de Lancre, on assiste alors à un rituel parodique de la liturgie chrétienne : messe à l'envers, signe de croix de la main gauche, hostie triangulaire et noire, urine pour remplacer l'eau bénite…

Il faut compléter ce tableau avec la pratique de l'évasion des sorcières par la voie des airs (vers Terre Neuve), les métamorphoses (en chat, en chien ou en loup) et surtout l'art de se rendre invisible !

 

Le sabbat

A la différence des traités de démonologie du Moyen Age, les maléfices et le sabbat décrits chez de Lancre sont décrits comme des réalités et non comme des illusions. Il affirme que les sorcières se rassemblent pour rendre un culte à leur seigneur le Diable, qu'elles dansent au son du tambourin, de la flûte et du ttunttun. Le sabbat apparaît avant tout comme le lieu de l'antireligion (adoration du Diable, parodies de messes) et de l'antisociété (personnages singeant ceux des cours royales). C'est aussi le lieu de l'antinature car le Diable se moque de la création divine et enfreint la loi naturelle en bafouant par exemple les liens familiaux (inceste, adultère, sodomie). Le sabbat c'est enfin une scène où tout n'est qu'illusions, transformations, trucages, ruses. À commencer par le corps du Diable lui-même qui est mi homme mi animal, avec des parties végétales ou métalliques et dont l'apparence physique change continuellement

Fin des procès

Dès son arrivée au Pays Basque, Jean d’Espagnet laissera de Lancre mener seul les enquêtes pour se consacrer, au nom du roi, à la résolution des problèmes frontaliers avec l’Espagne et à l’établissement des plans d’agrandissement et de défense du port de Socoa. Quand d’Espagnet regagne Nérac le 1er novembre 1609 pour présider la chambre de Guyenne, il sait que des incidents perturbent depuis quelques temps les procès en Labourd. D'ailleurs, le conseiller de Lancre quittera le Pays Basque 10 jours plus tard. Combien de victimes a-t-on dénombrées ? Certains auteurs avancent que Pierre de Lancre instruisit près de 600 procès, qu’il envoya au bûcher plusieurs centaines personnes et que les prisons de Bayonne n'avaient pas assez de place pour contenir tous les prévenus. La vérité semble très différente. D’après un document écrit par un inquisiteur espagnol qui critique la manière d’instruire les procès en Labourd, on estime que de Lancre a exécuté 50 à 100 personnes seulement (!). En revanche, il a transféré un grand nombre de présumés sorciers vers Bordeaux."

 

 

Sorcellerie - Claude Labat

 

 

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